Qui est Don Quichotte ? Quel est son secret ?
Le nom de l'hidalgo est Quixana. Dès la première page, l'édifice des noms présente une forme géométrique :
Quesada ou Quixada
Quixana
« ... Et enfin se vint à appeler don Quichotte; d'où, comme dit est, les auteurs de cette tant véritable histoire ont pris sujet de dire que sans doute il se devait appeler Quixada et non pas
Quesada, comme d'autres l'ont voulu assurer... »
Le choix du surnom influe sur les raisons de ne plus hésiter entre Quixada et Quesada. Quixote plaiderait en faveur de Quixada. (Nous reprenons ici volontairement l'orthographe de Cervantès. Les caractères graphiques participent à la dénonciation de l'identité).
L'édifice des noms devient :
Quixada
Quesada
Quixana
don Quixote de la Manche
Nouveau mouvement d'opinion au sujet du nom. « Seigneur Quixada (car il se devait ainsi appeler quand il avait son jugement et qu'il n'était encore passé de gentilhomme posé à chevalier errant... »
Et comme don Quixote ne veut pas de ce nom : « Regardez bien, monsieur, pécheur de moi, que je ne suis ni don Rodrigue de Narvaez, ni le marquis de Mantoue, mais Pedro Alonso, votre voisin; et vous n'êtes Baudouin, ni Abindarraez, mais bien l'honorable gentilhomme, le seigneur Quixada ... »
Don Quixote répond : « — Je sais qui je suis ».
Nous ne le savons pas. L'hidalgo redevient don Quixote, quelques paragraphes plus loin, sans difficulté et sans que la réapparition de ce nom soulève la moindre observation de la part du curé Pero Perez, du barbier ou de la nièce. Ce nom-là ne surprend personne. Sancho l'agrée sans même être mis dans sa confidence. L'appellation va de soi pour lui comme pour les principaux personnages. Ils connaîtraient donc la raison de ce nom et devraient l'avoir acceptée.
Le silence pèse sur le moment où le laboureur Sancho, voisin de l'hidalgo qu'il connaît sous le nom de Quixada ou Quixana, apprend que ce dernier a changé de nom et, désormais, en tant que chevalier errant, porte celui de don Quixote de la Manche. Laissée à l'encrier, cette information utile indique par son absence que Sancho ne connaît que don Quixote. Il est le compagnon de l'hidalgo quand il mérite le nom de Quixote et non celui de Quixana.
Celui de Quixada motive cependant une explication. Il est spécifié, au sujet de Gutierre Quixada, que Quixote descend de sa race en ligne directe masculine.
« ... Et aussi les aventures et les défis que mirent fin en Bourgogne les vaillants Espagnols Pierre Barba et Gutierre Quixada (de la race duquel je descends en ligne directe masculine) ... »
De plus l'hidalgo se surajoute le surnom de Chevalier de la Triste Figure.
« Je pense donc que le susdit sage t'aura mis en bouche et en la pensée tout présentement que tu m'aies appelé le Chevalier de la Triste Figure, comme je veux m'appeler dorénavant... »
Pour le premier volume, l'édifice des noms de l'hidalgo est le
suivant :
Quesada
Quixada
(abandonné comme Quixana inconvenant selon les conjectures de don Quixote de la Manche dit Chevalier de la Triste Figure.
—Quixada signifie mâchoire.
—Quixana ne signifie apparemment rien.
Quixote, en espagnol, signifie cuissard. Même ce sens illustre un verset du Zohar : « Les prophètes sont les cuisses du monde »… Le surnom de Chevalier de la Triste Figure englobe tout le personnage et s'applique particulièrement à lui par l'allusion à la mine qui caractérise son visage.
Ces trois noms correspondent aux trois séphiroth pères de la théorie séphirothique. Les trois séphiroth pères désignent les trois fonctions de la parole dans l'être agissant :
— Quixada c'est l'intuition de l'esprit…
— Quixana c'est le pouvoir de parler selon les organisations musculaires…
— Quixote c'est le discours qui en est le résultat.
Les trois noms de l'hidalgo correspondent aux trois situations symbolisées par les séphiroth pères dites aussi séphiroth de tête. Cette interprétation se confirme par les précisions apportées par le second volume. L'hidalgo change encore de nom, cesse d'accepter la dénomination générale de Chevalier de la Triste Figure, préférant celle de Chevalier des Lions, conforme à ses
nouvelles actions : « ... Mais, afin de n'y point dépenser notre temps, que le grand Chevalier de la Triste Figure nous accompagne.
— Votre Altesse, dit Sancho, doit dire des Lions, car il n'y a plus de Triste Figure : nous en sommes aux Lions »…
A la fin, il cesse d'être seigneur Quixana pour devenir Quixano le Bon. « Véritablement il se meurt, et véritablement aussi Alonso Quixano le Bon est devenu sage : nous pouvons entrer pour qu'il fasse son testament ». Ces nouvelles firent alors lâcher la bonde aux yeux gonflés de la gouvernante, de la nièce et de Sancho Pança son bon écuyer, de sorte qu'il en jaillit des fontaines de pleurs, et de l'estomac mille profonds soupirs : car, en effet, ainsi que nous avons déjà dit quelque part, tant que don Quichotte fut simplement Alonso Quixano le Bon, aussi bien que tant qu'il fut don Quichotte de la Manche, il fut toujours d'une nature douce et d'agréables rapports » . Ainsi, selon l'édition de la Pléiade, l'édifice général des noms
serait :
Quesada
Quixada
Quixana
Alonso Quixano le Bon
Une erreur d'impression extrêmement menue et grave de conséquences fausse la réalité de cette ordonnance. Il ne s'agit pas de Quixana mais de Quexana. Dès lors, l'édifice des noms devient
kabbalistiquement lisible et clairement significatif :
Quixada
Quexana
Quixote
Alonso Quixano le Bon
Ces quatre appellations correspondent à quatre des noms de Dieu particulièrement utilisés, Élohim, Jéhovah, Sebaoth ou El Shaddaï, noms dérivés des actions pour reprendre l'expression de Maïmonide:
« Quant à ses autres noms glorieux, ils le désignent par homonymie; car ils sont dérivés de certaines actions comme on en trouve de semblables chez nous ».
Dieu lui-même le disait déjà à son prophète :
« Tu désires savoir mon nom ? C'est selon mes œuvres. Lorsque je juge des créatures, je suis appelé Élohim, lorsque je fais la guerre aux mécréants, je suis appelé Sebaoth, lorsque je pardonne les fautes des hommes, je suis appelé El Shaddaï ».
De la même manière, suivant ses œuvres, l'hidalgo change de nom.
« Seigneur Quixada (car il se devait appeler ainsi quand il avait son jugement et qu'il n'était pas encore passé de gentilhomme posé à chevalier errant ».
Les noms de l'hidalgo changent selon son action. Dans ces conditions, que fait Quixada que ne peut Quexana ? Que fait Quexana que ne fait pas Quixote ? Quel est le rôle d'Alonso Quixano le Bon ?
Quexana vit, mange et lit.
Quixote sort, mène des aventures, combat.
Quixano teste et meurt.
Trois noms, trois fonctions : Quexana est l'homme oisif qui s'adonne à la lecture des romans de chevalerie et juge les héros littéraires. Quixote est l'hidalgo devenu fou, prenant les armes
pour combattre. Alonso Quixano le Bon est l'homme qui renonce à sa vie et à son œuvre et qui teste avant de disparaître. Comme Dieu, l'hidalgo change de nom en changeant de fonction.
Quixada se compare à Adonaï,
Quexana à Elohim,
Quixote à Sebaoth et
Alonso Quixano el Bueno à El Shadaï.
Dans les trois cas, les actions elles-mêmes sont imitatives des actions divines.
La Kabbale est la science des noms. Si Quexana correspond à Élohim et Quixote à Sebaoth, il faut demander à Quexana et à Quixote une explication de leur sens par les méthodes traditionnelles. Bon kabbaliste, Cervantès n'a pas résisté au savant plaisir de combiner les lettres en fonction du symbolisme que leur confère la langue hébraïque…
Pour en savoir plus :
Lire "Don Quichotte prophète d'Israël" (Dominique Aubier) éditions Ivréa - Gallimard.
En librairie
ou internet.
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