lundi 9 février 2015

Don Quichotte face à l'Inquisition

L'année dernière, en 2013, est paru ce livre :
Don Quichotte prophète d'Israël aux éditions Ivréa.
Distribué par Gallimard.

Ce livre distribué dans toutes les librairies de France fait l'objet d'une mise à l'index sur l'encyclopédie d'Internet. J'ai essayé de le mentionner dans la bibliographie sous l'entrée Don Quichotte. Systématiquement, certains esprits bienveillants l'effacent. Sous des prétextes très intéressants dont voit poindre ce qui motive réellement l'ostracisme.
Normalement, l'encyclopédie reçoit tout ouvrage dès lors qu'il existe, qu'il est édité par un éditeur sérieux, et qu'il bénéficie d'une notoriété.
Ce livre est cité par de nombreux auteurs, et tous les spécialistes de Cervantès et de Don Quichotte le connaissent. Mais dans l'encyclopédie wikipédia, on voit bien qu'il existe un front d'ennemis de Don Quichotte qui ne peut pas accepter la thèse.
Le titre à lui seul leur donne l'urticaire.

On appelle cela de l'antisémitisme culturel. Et c'est une option communément partagée.
On s'indigne officiellement des exactions nazies mais l'antisémitisme peut prendre des formes bien plus subtiles… ou grossières.
Interdit de wikipédia ?
Mais au fond c'est peut-être une bonne chose.
Ainsi ce livre se distingue et reste à part, sans se mêler du tout venant de la culture conventionnelle.
Peut-être les inquisiteurs rendent-il service sans le savoir ? Car à exclure on accorde une distinction à la pensée qui se voit interdite.


dimanche 8 février 2015

DON QUICHOTTE ET ÉZÉCHIEL

DON QUICHOTTE ET ÉZÉCHIEL

(extrait du livre Don Quichotte prophète d'Israël)
Aux éditions Ivréa.


Premier mot, premier écueil. Le roman s'ouvre sur une citation
« en un lieu de la Manche... ». Ce vers connu du Romancero
General sert de prélude. A partir de cette capture non dissimulée,
faite à un auteur anonyme, la phrase la plus vantée de l'ouvrage
prend son essor.
« ...dont je ne veux pas me rappeler le nom ». A peine l'auteur
parle-t-il de son cru qu'il renâcle! Il ne veut pas! C'est bien
dommage. Car ce lieu, cette Manche, ce ne sont pas des mots si
simples que l'auteur puisse refuser de préciser. L'un et l'autre
admettent plusieurs sens.
« Lugar » signifie lieu de l'espace mais aussi lieu de la pensée.
Est-ce le pays ou l'homme qui est désigné ? La Manche est une
région d'Espagne. Mais le mot « mancha », tache, en appelle
aussi au nettoyage. De qui ou de quoi parle-t-on ? D'un village de
la Manche ou d'un lieu de la pensée de la tache ? La mauvaise
volonté de l'écrivain mérite en juste compensation une réticence
égale de la part du lecteur. Il ne tient qu'à lui de se montrer
tatillon et, précisément, nous le sommes. Nous ne voulons pas
opter en faveur du village de la Manche contre la possibilité d'une
interprétation où le lieu serait la zone motrice d'un esprit marqué
par la Tache.
Dans son élan la phrase entraîne : « ... il n'y a pas longtemps
vivait un hidalgo ». Un hidalgo réel peut vivre dans un point de la
Manche, à Argamasila del Alba ou Quintanar de la Orden. Un
hidalgo imaginaire peut tout aussi bien hanter un esprit. Nous
sommes à lire. L'hypothèse de la fantaisie n'est pas interdite. Elle
serait même de bonne règle. Dans ces conditions, le lecteur a le droit d'attendre quelque
précision relative à la Manche. Un paysan castillan n'en
démordrait pas. Avec patience et décision, à l'espagnole, il ferait
le siège du parleur. Le conteur ne quitterait pas la place sans avoir
craché ou le nom du pays, ou celui de l'homme, ou les raisons
pour lesquelles il préfère ne pas se rappeler. Et c'est bien à la
paysanne qu'il faut ergoter.
Si Mota de Cuervo ou Campos de Criptana se cachait
derrière le mot « lugar », il n'y aurait aucune raison de
l'occulter. Si « lugar » dissimule un homme, un esprit, l'auteur
peut avoir des raisons pour ne pas le nommer. La pudeur, le
respect humain font de sains arguments. Dans ce cas, deux
possibilités se présentent. Ou l'auteur parle de lui-même et se tait
par pudeur, ou l'auteur traite d'un tiers et se tait par respect. La
vraisemblance conseille d'opter pour la honte honnête de
l'écrivain qui se refuse à blesser la décence.
« En un lugar de la Mancha de cuyo nombre no quiero
acordarme! » Belle manière de saluer! Au commencement d'un
livre, au point où l'auteur salue le lecteur, pareil aveu est de
mauvais augure! Ou l'écrivain se moque ou il entre en
pourparlers sur le ton courtois qu'exige la politesse. Un paysan
espagnol ne s'y tromperait pas.
Si Cervantès s'adresse au lecteur d'égal à égal, une autre
interprétation est possible. Un ésotériste aborderait ainsi
quelqu'un qu'il soupçonne d'appartenir à la même secte. C'était en
effet coutume chez les occultistes de saluer par des mots
semblables. Dans ce cas, l'affaire de la Tache se laisserait
comprendre. Les occultistes n'avaient pas bonne réputation en
Europe où ils étaient suspects d'appartenir à la Kabbale judéo-
chrétienne. Par l'intermédiaire de leur savoir, ils participaient à la
Tache, celle qui pesait sur le sang espagnol à l'époque des statuts
de limpieza de sangre — de propreté de la race. Qui s'annonce par
l'ambassade étrange de cette signalisation ?
Un de ces hidalgos qui ont « épée au blason, bouclier à
l'ancienne, cheval maigre et lévrier bon coureur ». Quatre signes
qui semblent emblématiques. Mais de quelle condition ?

vendredi 6 février 2015

Les moulins de Don Quichotte


Que les choses, en littérature, puisse être signifiantes, tout le monde ou presque en convient. C'est la haute fonction du symbolisme que représenter, donner à voir une chose pour en désigner une autre par un ricochet augmentatif de l'imagination. Mais ce processus mental est-il applicable au réel ? Le lecteur de Don Quichotte veut bien accepter que le héros ait une capacité interprétative riche : il s'en amusera et trouvera l'épisode comique. Mais pour Don Quichotte, il n'y a pas de recul : pour lui, la chose existante devient réelle dès lors qu'il applique à l'apparent une certaine grille de lecture. Que d'aucuns qualifieront de paranoïaque ?
Et dans nos propres vies : est-il possible de considérer le réel qui nous entoure comme une sorte de livre dans lequel il faudrait lire les signes ? Le réel est-il un livre ouvert ? Une représentation symbolique dont il faudrait, comme Don Quichotte, au moyen d'une grille, décoder le sens ? Voici un moulin : aujourd'hui, je verrais plutôt une éolienne. Mais est-ce vraiment une éolienne ? Ne serait-elle pas davantage le symbole représentatif d'un mode de pensée ? Qu'irais-je affronter une éolienne dont les pales tournent à 80 mètres de haut ! Les moulins à vent de Don Quichotte… épisode mondialement connu.
Mais qui en a compris le sens ?

L’ÉNIGME DES MOULINS À VENT
(Extrait du livre Don Quichotte prophète d'Israël)
Don Quichotte est universellement connu : il combat les moulins à vent. Inutile de lire le roman de ses aventures pour l'apprendre. Cette part de son épopée, détachée de l'ensemble, mène sa vie indépendante. Le langage sait et enseigne que don Quichotte combat les moulins à vent. Les raisons pour lesquelles le langage a recueilli et conservé l'image étrange de ce chevalier luttant contre des moulins devraient être simples, faciles à
comprendre.

Dans presque toutes les langues du monde, cette image est présente. Aucun peuple ne s'est opposé à l'accueillir. Aucune forme d'entendement ne s'est refusée à la retenir. Partout, deux expressions uniformément agréées dans leur sens littéral assurent son existence et sa permanence : faire le don Quichotte, combattre les moulins à vent. Il semble que l'hidalgo dans sa charge célèbre accomplisse un acte aisément accessible à l'esprit.
Sur l'opportunité d'une telle bataille, aucun débat ne devrait s'ouvrir. Cependant, demandez ce que fait l'hidalgo quand il combat les moulins. En anglais, en allemand, en italien comme en français, pour mettre en cause des langues européennes, une réponse d'une valeur statistique incomparable établit qu'il fait le don Quichotte. Demandez qui est don Quichotte. Une réponse unique d'une signification statistique égale institue qu'il combat les moulins à vent.

Une précision ressort d'un tel sondage : l'affaire des moulins à vent concerne don Quichotte. Pas l'ombre d'un tiers sur l'exploit. Don Quichotte renvoie aux moulins. Les moulins renvoient à don Quichotte. Dans leur parallélisme euclidien, les deux expressions ne se portent aucun secours.
Certes, nous savons ce que parler veut dire. Une personne lutte-t-elle généreusement pour une cause grande, sans se défier de la résistance des choses de ce monde, on dit qu'elle fait le don Quichotte. Échoue-t-elle dans son entreprise ? On la raille au nom de l'exemple célèbre de l'hidalgo : qu'allait-elle combattre les moulins à vent ?
Il faut combattre les moulins à vent. C'est un signe de grandeur d'âme. De l'aventure, on revient toujours vaincu. C'est le signe de l'ordre des choses. Qu'a-t-on besoin de lutter contre des moulins à vent ? Le bon sens conseille de ne pas s'y risquer. Pour le bon
sens qui sait de quoi il en retourne, que sont les moulins ?  Si sensé qu'il soit et soucieux des évidences qu'on l'imagine, le bon sens, quand il déconseille de lutter contre les moulins, ne pense pas aux moulins. Il a trop de naturel pour se permettre pareille incongruité. Il pense aux puissances établies. Il ne faut pas lutter contre les puissances établies. Elles sont trop puissantes; ce en quoi, le sens commun ne se trompe pas. En vertu de quel pacte accepte-t-il que les puissances établies soient symbolisées par des moulins ? Sur pareille mascarade, aucune explication ne ressort des droits usufructués par ce que Bossuet appelle avec raison « le père des langues ».
Selon le bon plaisir de l'usage, ce tyran, les moulins, représentent, dans les puissances établies, en même temps que leur puissance et leur solide établissement, la part contestable de leur existence. Des puissances sont établies pour le meilleur oupour le pire. Elles sont à détruire ou à conserver selon le service qu'elles rendent bon ou mauvais. Les moulins symbolisent les puissances établies en dehors de toute raison d'être. Mais pourquoi des pièces de meunerie symbolisaient-elles à bon droit pareil mauvais jeu ? En vertu de quels caractères ? Il n'est pas vrai que de tels caractères soient évidents pour le bon sens. Tout au contraire. Les moulins à vent servent à moudre le blé. Leur utilité est le premier caractère qui s'aperçoive clairement dans l'évidence. A ce titre, ils symboliseraient dignement des puissances utilement établies.
Contre quoi don Quichotte lutte-t-il pour l'approbation éternelle des peuples ? Lui-même symbolise la grandeur d'âme s'exerçant sans efficace, pour son échec naturel contre les
puissances de ce monde. Telle position de l'esprit se rencontre effectivement parmi les diverses possibilités offertes par la nature humaine.
Mais que font des moulins dans le camp de son adversité ?
Car, dans ce cas, les moulins symbolisent l'adversité typique et particulière à quoi se heurtent certaines natures imprudentes quand elles s'attaquent sans rouerie ni précaution à la redoutable réalité des choses de ce monde…

Le vrai secret de Don Quichotte

Tout le monde connaît Don Quichotte. Ou du moins, tout le monde en a entendu parler.
On peut se demander pourquoi cette figure littéraire est devenue une sorte d'icône mondialement reconnue.
Quel est son secret ?
Tous les experts de la littérature s'accordent pour reconnaître que son auteur était un génie. Qu'il a inventé une forme nouvelle d'écriture : Cervantès est en effet l'inventeur du roman moderne et l'on trouve, dans Don Quichotte, toutes les techniques narratives qui font aujourd'hui le succès des auteurs en vue.
Narration linéaire, narration systémique, intrusion de l'auteur dans son roman, flash back, flash avant, inversions, retournements : tout y est dans Don Quichotte et je ne crois pas que les nouveaux romanciers aient inventé quoi que ce soit depuis lors. De sorte qu'on peut bien dire que Cervantès a "inventé" le roman, et qu'en même temps, il l'a tué car dans Don Quichotte, on trouve l'aboutissement même de la forme romanesque — insupérable, comme ont dit en espagnol — ne permettant pas de la surpasser. Cervantès serait-il le "tueur" du roman ?

Quel avenir littéraire peut-on encore espérer après Don Quichotte si en lui se concentre la perfection du genre ? Cervantès y a répondu par lui-même, puisqu'il dit que son œuvre aura besoin d'un commentaire pour être comprise : necesita comentos para entenderla.
Avons-nous réellement compris Don Quichotte ?

Des centaines d'ouvrages érudits ont tenté de percer son énigme. De grands experts ont planché sur la question, dont le plus savant de tous était Diego Clemencin, grammairien, qui a réalisé une fastueuse étude où il a passé l'œuvre de Cervantès au film de son immense savoir. Il en a déduit que malgré tout le respect qu'il devait au grand écrivain espagnol, son œuvre présentait des imperfections et beaucoup de fautes. Fautes d'orthographes, fautes de sémantique, fautes de grammaire… Et qu'assurément, Don Quichotte méritait d'être révisé, corrigé par le professeur qui se fait fort d'améliorer ce que l'écrivain défaillant aurait négligé. Il en a résulté une révision du texte original, une modernisation diront certains, au nom de la conformité conventionnelle dont l'universitaire se portait garant.

J'ai eu la chance de lire Don Quichotte dans une édition antérieure à celle que le brave chercheur avait liophylisée et j'ai eu recours — miracle des bibliothèques bien pourvues — à une édition fac similée de l'original de 1605 et de 1610. Pour suivre le texte de Cervantès au mieux, j'ai également pris sa traduction éditée chez Flammarion de Louis Viardot. C'était en Espagne, en 1987. Dans la maison de l'écrivain Dominique Aubier, bien connue pour ses travaux portant sur Don Quichotte.

Elle m'avait recommandé, pour m'intégrer au mieux dans le petit village où elle résidait, d'apprendre la langue. Et pour cela, d'aller si possible vers les gens, leur parler. Et en même temps, lire des textes en espagnol. Et quel autre texte pouvais-je bien lire si ce n'est Don Quichotte, Bible des Espagnols ?
Je me suis lancé : bien sûr, au début, c'était le vertige. Plonger dans une langue étrangère dont il fallait, à chaque mot vérifier le sens dans le dictionnaire… Dominique Aubier me conseilla d'utiliser le dictionnaire usuel Larousse. Mais aussi de consulter le "Covarubias" : dictionnaire bizarre édité du temps de Cervantès qui collationne les mots espagnols tout en indiquant leur étymologie arabe ou hébraïque, et dont les définitions n'étaient pas toujours très rationnelles, renvoyant à des références bibliques. Etrange grimoire que ce lexique plein de mots espagnols anciens, ne figurant pas dans le Larousse ! Tout cela pour me faire comprendre que l'écriture de Cervantès n'était peut-être pas tout à fait indexée sur les modalités de pensée de notre rationalité analytique.
Et puis, j'étais à Carboneras. Petite ville en bord de mer, à 70 kilomètres d'Alméria. Ici, je me rendais bien compte que je n'étais pas dans un lieu tout à fait "normal", dans le sens où la normalitude aplatit la pensée sur une planche à repasser pour que tout tombe bien dans les plis.
J'eus le privilège d'habiter dans la maison de Dominique Aubier, aux côtés de celle qui avait fait de Don Quichotte son maître à penser. Don Quichotte, pour elle, n'était pas une "figure de rhétorique littéraire". Ce n'était pas un "exercice universitaire" de philologie ou de sémantique. Ni une curiosité touristique. Don Quichotte représentait un art de vivre. Un art de penser. Que tout un chacun pouvait adopter. Elle avait en quelque sorte "quichottisé" son existence pour calquer son mode de vie sur le référentiel quichottien !
Et je débarquais là, avec ma raison raisonnante. Avec mes conceptions et techniques de lecture apprises à la "fac". Diplômes en poche et certitude qu'avec le filtre de la pensée inculquée dans les instituts contrôlés par le ministère de l'Education, tout deviendrait clair et lisible.
Mais Don Quichotte — le vrai — m'attendait : la première leçon qu'il m'infligea fut une séance de décapage mental. Il fallait plonger dans la chaux vive et écorcher le petit singe savant. Et Dieu sait que le fauve se débattait. Pour moi, il n'était pas question de penser autrement qu'en jurant par le socialisme mitterrandien. Liberté de penser, liberté d'expression : valeurs sacro-saintes au nom desquelles j'acceptais volontiers la folie quichottienne, car après tout, la folie est permise. Mais de là à concevoir que cela puisse constituer un mode de vie ?

Semaine après semaine…