vendredi 6 février 2015

Les moulins de Don Quichotte


Que les choses, en littérature, puisse être signifiantes, tout le monde ou presque en convient. C'est la haute fonction du symbolisme que représenter, donner à voir une chose pour en désigner une autre par un ricochet augmentatif de l'imagination. Mais ce processus mental est-il applicable au réel ? Le lecteur de Don Quichotte veut bien accepter que le héros ait une capacité interprétative riche : il s'en amusera et trouvera l'épisode comique. Mais pour Don Quichotte, il n'y a pas de recul : pour lui, la chose existante devient réelle dès lors qu'il applique à l'apparent une certaine grille de lecture. Que d'aucuns qualifieront de paranoïaque ?
Et dans nos propres vies : est-il possible de considérer le réel qui nous entoure comme une sorte de livre dans lequel il faudrait lire les signes ? Le réel est-il un livre ouvert ? Une représentation symbolique dont il faudrait, comme Don Quichotte, au moyen d'une grille, décoder le sens ? Voici un moulin : aujourd'hui, je verrais plutôt une éolienne. Mais est-ce vraiment une éolienne ? Ne serait-elle pas davantage le symbole représentatif d'un mode de pensée ? Qu'irais-je affronter une éolienne dont les pales tournent à 80 mètres de haut ! Les moulins à vent de Don Quichotte… épisode mondialement connu.
Mais qui en a compris le sens ?

L’ÉNIGME DES MOULINS À VENT
(Extrait du livre Don Quichotte prophète d'Israël)
Don Quichotte est universellement connu : il combat les moulins à vent. Inutile de lire le roman de ses aventures pour l'apprendre. Cette part de son épopée, détachée de l'ensemble, mène sa vie indépendante. Le langage sait et enseigne que don Quichotte combat les moulins à vent. Les raisons pour lesquelles le langage a recueilli et conservé l'image étrange de ce chevalier luttant contre des moulins devraient être simples, faciles à
comprendre.

Dans presque toutes les langues du monde, cette image est présente. Aucun peuple ne s'est opposé à l'accueillir. Aucune forme d'entendement ne s'est refusée à la retenir. Partout, deux expressions uniformément agréées dans leur sens littéral assurent son existence et sa permanence : faire le don Quichotte, combattre les moulins à vent. Il semble que l'hidalgo dans sa charge célèbre accomplisse un acte aisément accessible à l'esprit.
Sur l'opportunité d'une telle bataille, aucun débat ne devrait s'ouvrir. Cependant, demandez ce que fait l'hidalgo quand il combat les moulins. En anglais, en allemand, en italien comme en français, pour mettre en cause des langues européennes, une réponse d'une valeur statistique incomparable établit qu'il fait le don Quichotte. Demandez qui est don Quichotte. Une réponse unique d'une signification statistique égale institue qu'il combat les moulins à vent.

Une précision ressort d'un tel sondage : l'affaire des moulins à vent concerne don Quichotte. Pas l'ombre d'un tiers sur l'exploit. Don Quichotte renvoie aux moulins. Les moulins renvoient à don Quichotte. Dans leur parallélisme euclidien, les deux expressions ne se portent aucun secours.
Certes, nous savons ce que parler veut dire. Une personne lutte-t-elle généreusement pour une cause grande, sans se défier de la résistance des choses de ce monde, on dit qu'elle fait le don Quichotte. Échoue-t-elle dans son entreprise ? On la raille au nom de l'exemple célèbre de l'hidalgo : qu'allait-elle combattre les moulins à vent ?
Il faut combattre les moulins à vent. C'est un signe de grandeur d'âme. De l'aventure, on revient toujours vaincu. C'est le signe de l'ordre des choses. Qu'a-t-on besoin de lutter contre des moulins à vent ? Le bon sens conseille de ne pas s'y risquer. Pour le bon
sens qui sait de quoi il en retourne, que sont les moulins ?  Si sensé qu'il soit et soucieux des évidences qu'on l'imagine, le bon sens, quand il déconseille de lutter contre les moulins, ne pense pas aux moulins. Il a trop de naturel pour se permettre pareille incongruité. Il pense aux puissances établies. Il ne faut pas lutter contre les puissances établies. Elles sont trop puissantes; ce en quoi, le sens commun ne se trompe pas. En vertu de quel pacte accepte-t-il que les puissances établies soient symbolisées par des moulins ? Sur pareille mascarade, aucune explication ne ressort des droits usufructués par ce que Bossuet appelle avec raison « le père des langues ».
Selon le bon plaisir de l'usage, ce tyran, les moulins, représentent, dans les puissances établies, en même temps que leur puissance et leur solide établissement, la part contestable de leur existence. Des puissances sont établies pour le meilleur oupour le pire. Elles sont à détruire ou à conserver selon le service qu'elles rendent bon ou mauvais. Les moulins symbolisent les puissances établies en dehors de toute raison d'être. Mais pourquoi des pièces de meunerie symbolisaient-elles à bon droit pareil mauvais jeu ? En vertu de quels caractères ? Il n'est pas vrai que de tels caractères soient évidents pour le bon sens. Tout au contraire. Les moulins à vent servent à moudre le blé. Leur utilité est le premier caractère qui s'aperçoive clairement dans l'évidence. A ce titre, ils symboliseraient dignement des puissances utilement établies.
Contre quoi don Quichotte lutte-t-il pour l'approbation éternelle des peuples ? Lui-même symbolise la grandeur d'âme s'exerçant sans efficace, pour son échec naturel contre les
puissances de ce monde. Telle position de l'esprit se rencontre effectivement parmi les diverses possibilités offertes par la nature humaine.
Mais que font des moulins dans le camp de son adversité ?
Car, dans ce cas, les moulins symbolisent l'adversité typique et particulière à quoi se heurtent certaines natures imprudentes quand elles s'attaquent sans rouerie ni précaution à la redoutable réalité des choses de ce monde…

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